Menu
Libération
Reportage

Train de la solidarité avec les réfugiés : «Et vous, qu’emmèneriez-vous si vous deviez quitter votre pays ?»

Du 28 novembre au 17 décembre, un «train de la solidarité» fait étape dans cinq villes françaises, avant d'arriver à Genève, pour l’ouverture du premier Forum mondial sur les réfugiés. Ce lundi, il s'est arrêté à Bordeaux.
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux, photos Rodolphe Escher pour Libération
publié le 3 décembre 2019 à 10h18

Lundi, il est 9 heures, un coup de sifflet retentit dans la gare de Bordeaux. Des wagons bleu foncé s'avancent sur les rails. A la place des fenêtres, les voyageurs du matin découvrent d'immenses photographies d'enfants, de femmes et d'hommes. Et une inscription gravée en lettres capitales sur le flanc métallique : «Train de la solidarité avec les réfugiés.» Des têtes se dévissent, les valises se stoppent le long des voies. Il n'en fallait pas moins pour intriguer les badauds, massés sur les quais en attendant leur propre train. Avec son gros sac à dos sur les épaules, Lucie, 22 ans, est l'une des premières à franchir les portes de la locomotive, portée par la curiosité et encouragée par une dizaine de bénévoles. Si les débuts sont timides, la jeune étudiante en lettres est rapidement imitée par d'autres visiteurs.

Photo Rodolphe Escher pour Libération

«Je ne savais pas qu’Einstein était considéré comme un réfugié»

A l'intérieur, une exposition a été aménagée dans deux voitures – l'initiative est portée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), la SNCF et la Délégation interministérielle chargée de l'accueil et de l'intégration des réfugiés (1). Malgré l'étroitesse des couloirs, l'expo retrace avec ingéniosité et pédagogie les causes et les conséquences des déplacements forcés dans le monde ainsi que l'histoire de la protection des réfugiés depuis la fin de la Première Guerre mondiale. «Le train est parti de Paris samedi, en gare de Lyon. Il va désormais traverser la France, jusqu'à Genève, pour le lancement du premier Forum mondial sur les réfugiés qui se tiendra les 17 et 18 décembre au Palais des Nations. L'événement est organisé dans la continuité de la mise en œuvre du Pacte mondial sur les réfugiés. Bordeaux est la première étape en province», détaille Céline Schmitt, porte-parole de l'UNHCR.

La danseuse Azzag Sawah est syrienne et refugiee en France depuis 2015. Elle avait une école de danse en Syrie, et danse ici en conclusion de l’inauguration du train. Photo Rodolphe Escher pour Libération

Dans un coin du wagon, des collégiens de la région ont fait le déplacement avec leur professeur. En classe de quatrième, ils découvrent, les yeux écarquillés, qu'ils connaissent déjà plusieurs réfugiés célèbres, parmi lesquels : Albert Einstein, qui a fui l'Allemagne pour les Etats-Unis en 1930 à cause de sa religion ou Freddie Mercury, le chanteur de Queen, dont la famille a quitté Zanzibar en 1964 pour se réfugier en Angleterre. «Je ne savais pas qu'Einstein était considéré comme un réfugié, il est tellement connu !» commente Pierre, 14 ans, l'air songeur. Pour retenir encore un peu plus leur attention, il arrive que Rachel – elle travaille aussi pour l'UNHCR – s'empare du micro et leur demande : «Et vous, qu'emmèneriez-vous si vous deviez quitter votre pays ?» «Une PlayStation», «mon skate», «mon enceinte», répondent certains du tac au tac. Et puis, avec un peu plus de sérieux, elle leur précise : «Une seule chose. Pour survivre.» «Les réponses changent du tout au tout. Ils évoquent tout de suite des choses moins matérielles, telles que des photos, une peluche», dit Céline Schmitt.

Partager leur histoire de vive voix

Dans une seconde partie, le wagon laisse place aux portraits photos, aux témoignages écrits et sonores. Un espace permet même à des cuisiniers de partager la gastronomie de leur pays d'origine. Car les chiffres parlent, mais ne dévoilent pas tout. Et surtout pas les visages. Quelques mètres plus loin, on retrouve Lucie, encore «sonnée» par certains récits. En particulier le témoignage vidéo de la jeune syrienne Yusra Mardini. «Ça remet beaucoup de choses en perspective», dit la jeune femme. A 18 ans, alors qu'elle fuyait la capitale syrienne Damas, l'embarcation de Yusra Mardini est tombée en panne entre la Turquie et la Grèce. Nageuse de haut niveau, elle n'a pas hésité à sauter dans l'eau avec sa sœur Sarah pour pousser, à la force de ses bras, le petit bateau, en pleine nuit, durant trois heures jusqu'au rivage. Elle est aujourd'hui nageuse dans l'équipe olympique en Allemagne, où elle a demandé l'asile politique. «L'objectif est atteint si nous réussissons à rompre l'indifférence et créer des rencontres entre les réfugiés et les voyageurs dans un lieu, qui plus est, hautement symbolique. La gare est souvent synonyme de voyage du désespoir pour ces personnes qui ont tout quitté pour fuir les menaces, la misère économique, la guerre, pointe Céline Schmitt. Il s'agit aussi de montrer que chacun peut, à son niveau, favoriser l'accueil et l'intégration des réfugiés.» On y découvre par exemple des villages français qui ont redynamisé leur économie en accueillant des exilés.

Rencontre entre une classe de quatrième et des migrants qui racontent leur histoire. Photo Rodolphe Escher pour Libération

A tour de rôle, des réfugiés prennent également la parole pour partager leur histoire de vive voix. C'est le cas de Mustafa, un Syrien de 41 ans. Fleuriste de profession, il est arrivé il y a deux ans en France et cherche aujourd'hui un travail dans son domaine près de Libourne (Gironde). «J'ai fui précipitamment mon pays à cause de la guerre. Ça a été très difficile, j'ai dû laisser une partie de ma famille la mort dans l'âme», lâche-t-il sans trop s'étaler. Il préfère montrer «son art» et passera d'ailleurs une bonne partie de l'après-midi à faire des démonstrations dans le train. «Si l'accueil n'a pas toujours été aussi chaleureux pour moi en France, aujourd'hui, je considère être intégré. C'est bien que les gens comprennent qu'on n'est pas partis de gaieté de cœur. Ce genre d'initiative permet de sortir les gens de l'ignorance, c'est une bonne chose.» Prochaine étape du train de la solidarité : Clermont-Ferrand, ce mardi.

(1) Le train de la solidarité s'appuie sur trois partenaires : la fondation SNCF, la fondation Sanofi Espoir et la fondation Generali - The Human Safety Net.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique